L’ancien couvent des cordeliers de La Chambre fait partie des rares établissements franciscains encore partiellement conservés en élévation en Savoie et plus généralement dans les anciens diocèses du nord des Alpes (Genève, Grenoble, Maurienne et Tarentaise). Le principal exemple de ces implantations se trouve à Chambéry, où l’actuelle cathédrale et le Musée Savoisien sont constitués des anciens bâtiments du couvent franciscain établi vers 1220. À La Chambre, l’implantation des mendiants est plus tardive : dû aux libéralités de la famille de La Chambre, le couvent est fondé en 1365 dans un petite bourgade du fond de la vallée de la Maurienne, entre l’Arc et le torrent du Bugeon, à quelques centaines de mètres du prieuré bénédictin roman (actuelle église paroissiale). Malgré cet isolement géographique apparent, La Chambre est un lieu de passage important et régulier depuis l’Antiquité, sur la route entre Turin et Chambéry par la combe de Savoie, la Maurienne, le col du Mont-Cenis et le Val de Suse.
L’édifice est en partie ruiné, sans affectation depuis le milieu du XXe siècle au moins. Il a été acquis en 2008 par la commune qui a pour objectif de le conserver et surtout de lui trouver une nouvelle vie. Le site a été inscrit au titre des Monuments historiques en octobre 2021. Le bâtiment dit « des hôtes », encore en élévation en 2010, a malheureusement été démoli car il menaçait ruine. L’ensemble est aujourd’hui entièrement menacé de démolition du fait de sa vétusté, des risques d’effondrement et de l’efficacité limitée des toitures provisoires en tôle. Malgré la ruine, il reste de belles élévations et dans certaines parties (salle capitulaire et sacristie notamment), les voûtes du couvent primitif sont encore en place. Le plan général de l’ensemble et ses transformations successives peuvent être appréhendées par l’archéologie du bâti et aider à la caractérisation des différentes périodes d’aménagement des édifices conservés.
Dans le cadre de la mission globale d’étude préalable placée sous la direction de Dominique Perron, architecte du Patrimoine, et de Benoît Chambre, architecte, une étude archéologique préalable de l’ancien couvent des Cordeliers de La Chambre a été commanditée par la commune. Elle avait plusieurs objectifs. Le premier était de dresser l’état des lieux des bâtiments conservés (photographies, plans, relevés d’élévations ponctuels) en mettant en lumière les différentes périodes de construction représentés et les fonctions des bâtiments aujourd’hui conservés. Ensuite, il est apparu nécessaire de proposer un premier phasage des vestiges et de mettre en regard l’état des connaissances actuelles à partir de la documentation historique et les bâtiments visibles. Enfin, il fallait évaluer avec plus de précision le potentiel archéologique du site et établir les problématiques d’une étude archéologique de bâti et éventuellement de fouilles au sol à réaliser dans le cadre d’une restauration des bâtiments.
La lecture que nous proposons des vestiges du couvent de La Chambre met en évidence cinq grandes périodes de construction et de réaménagement. De la donation initiale de la famille de La Chambre en 1365, rien n’est perceptible dans l’édifice actuel. Les premiers franciscains ont toutefois dû s’installer dans cette maison et, rapidement, entamer les travaux de construction de leur futur couvent. Il est probable que des vestiges subsistent malgré tout dans le sous-sol, ce qui permettrait de retracer plus fidèlement le contexte d’implantation et de développement du couvent. Le chantier commence sans doute peu après 1365, par l’église et sa sacristie (Phase 1). L’édifice, bien que de taille modeste par rapport aux grands couvents urbains, reste dans les canons de l’architecture franciscaine : un plan longiligne articulé autour d’une nef unique et d’un chœur légèrement plus étroit, sans collatéraux ni transept, sans déambulatoire ni chapelles latérales. Une deuxième tranche de travaux est matérialisée par la construction des murs périphériques du cloître à l’ouest et au nord, et de l’aile orientale du couvent (Phase 2). Cette dernière comprend alors une salle capitulaire, un clocher et deux chapelles ou oratoires destinés aux frères. Au moins un étage, si ce n’est deux surmontent également ces salles et accueillaient vraisemblablement les cellules des frères dont il est délicat de proposer le nombre sans des recherches plus approfondies sur les cloisonnements de l’étage. La morphologie des voûtes et la structure des baies ne sont pas fondamentalement différentes et il a dû s’écouler quelques années tout au plus, plaçant cette deuxième tranche de travaux autour de la fin du XIVe siècle ou du début du XVe siècle. À cette période, il existe un premier cloître dont la morphologie exacte nous échappe.
Une troisième tranche de travaux intervient avec la construction du logis ouest, qui vient s’appuyer contre la façade ouest du cloître (Phase 3). Sa morphologie globale est relativement bien cernée ; il a pu s’agir soit d’un bâtiment d’accueil pour les étrangers, soit d’un noviciat, soit d’un édifice plus utilitaire pour la communauté, qui avait besoin d’une bibliothèque, d’un réfectoire et de différents locaux. La présence de décors en accolade sur les linteaux des portes et fenêtres évoquent plutôt une construction à partir du milieu du XVe siècle. Une rénovation du couvent intervient à l’issue de la Réforme (Phase 4), mais il reste difficile de dater avec précision les travaux, à l’exception de ceux de l’église qui s’achèvent sans doute avec une nouvelle consécration en mai 1744, comme en témoigne une inscription sur un pilastre de la nef. Les travaux sont d’ampleur : le couvrement de la nef de l’église est entièrement rénové avec la création de voûtes d’arêtes, de grandes baies sont percées dans les quatre travées nouvellement créées. Le cloître est reconstruit entièrement à cette même période, avec cette fois un étage qui dessert les cellules des frères dans l’aile orientale et le premier étage du bâtiment ouest. Enfin, dans un cinquième temps, après la Révolution, le couvent est vendu comme Bien national et démantelé entre plusieurs propriétaires (Phase 5). Une partie s’effondre avant 1865 : le chœur de l’église, la moitié de la nef et trois chapelles latérales disparaissent et ne subsistent qu’à l’état de ruines. Tout au long du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, les bâtiments restant sont subdivisés par des murs de refend, des planchers ou des dalles en béton pour créer des appartements, des ateliers, des structures agricoles.